Texte et photos: Sébastien Buyck


Le XXe Gruppo, l’académie italienne du Typhoon.

Des premiers tests de sélection à la première mission opérationnelle sur Typhoon, de longs mois se seront écoulés pour les candidats pilotes de l’AMI (Aeronautica Militare Italiana). Depuis près de 20 ans, c’est le XXe Gruppo qui a la charge d’organiser la formation initiale sur F-2000. Cette unité a vu passer des dizaines de jeunes Italiens, Italiennes et Koweitiens dans ses murs afin qu’ils apprennent à dompter ce biréacteur de plus de 11 tonnes à vide. 

«It’s a long way to Grosseto…”

Un militaire italien qui se destine à devenir pilote de chasse doit passer par cinq stages successifs avant de pouvoir être affecté dans un escadron de combat (où il continuera d’ailleurs à apprendre et à travailler pour devenir un jour chef de patrouille et mission commander). C’est à Pozzuoli (Pouzzoles en Français) que se trouve l’Accademia Aeronautica de l’AMI. Dans ces installations, construites en 1953 à proximité de Naples, les jeunes officiers vont passer les diplômes nécessaires à leur cursus qui s’étale sur plusieurs années. A noter que l’Accedemia Aeronautica de Pouzzoles n’est pas une base aérienne car elle se trouve sur une colline et les stagiaires ne vivent donc pas au contact de la piste et des hangars dans les premiers semestres de leur formation. Quelques semaines de planeurs (Grob G103,Nimbus 4 et Lak 17) sont cependant organisées au sein du 60e Stormo à Guidonia lors de la première partie de la formation académique (stage 1) afin de donner aux futurs pilotes les premières notions de vol pour ceux qui ne pratiquent pas encore le pilotage dans le civil à titre privé. Les planeurs du 60e stormo sont mis en vol par un système de treuillage, ce qui permet au mieux quelques minutes de vol autour de la base. En aucun cas, ce stage planeur ne constitue une étape de sélection, l’ambiance y est d’ailleurs souvent très relaxée. Cette phase 1 dure trois ans, les cours sont donnés en association avec l’université Frederico II de Naples et permet aux candidats d’obtenir un Bachelor en Sciences aéronautiques. Côté pratique, les stagiaires passent ensuite à Latina pour passer leur Brevetto Di Pilota d’Aeroplano (Brevet de pilote). Ils volent sur T-260B, la désignation militaire du SF-260EA. 30 appareils sont mis en ligne par le 70e Stormo de Latina.la formation dure environ deux mois intensifs, ils sont environ 50 stagiaires par session. A l’issue de cette phase 1, les officiers destinés à devenir pilote au sein de l’AMI peuvent entamer la phase 2 de leur formation. La promotion est alors éclatée en plusieurs groupes, l’affectation dans ces groupes dépendant du classement aux examens de la fin de la phase 1. Une partie des pilotes restera en Italie, pour voler sur T-339A (MB339A) à Lecce (61e Stormo) pour une durée d’environ 7 mois. Une autre partie ira en Grèce, voler sur T-6 Texan II à Kalamata. Un troisième groupe partira pour les USA, intégrer l’ENJJPT (Euro Nato Joint Jet Pilot Training Program) sur la gigantesque base de Sheppard au Texas, pour voler là aussi sur T-6 Texan II. Sur les trois bases, des instructeurs italiens sont présents pour faire en sorte d’accompagner des élèves parfois déboussolés par un tout nouvel environnement pour eux. A l’ENJJPT, 100 heures de vol sont prévues pour toute la phase 2. Vols en formation, vols à basse altitude, navigations, vols VFR et IFR sont programmés sur environ un semestre. Les élèves ayant un niveau d’Anglais un peu juste passent d’abord à Loreto pour un stage d’Anglais aéronautique intensif de deux mois. De l’avis des pilotes italiens interviewés, ce ne sont pas les procédures de vol et les normes de sécurité qui sont difficiles à intégrer à Sheppard, c’est le phrasé des contrôleurs de la base qui entraine le plus de sueurs froides pour les jeunes stagiaires qui parfois comprennent peu ou mal les ordres donnés par des contrôleurs venus de tous les coins de l’Amérique avec des accents parfois très prononcés. A Kalamata, la formation est un peu plus longue (120 heures de vol en tout). La phase 2 est sanctionnée par l’obtention  de la licence de pilote militaire. Trois options sont alors possibles pour la suite du cursus (phase 3): intégrer le 72e Stormo de Frosinone pour apprendre à piloter les hélicoptères qui équipent les forces italiennes, intégrer le CAE-MC (Centro Addestramento Equipaggi-Multi Crew) à Pratica di Mare pour voler sur VC-180 Avanti afin de finir pilote d’avion multimoteur (C-130J, C27J, KC 767, etc…) ou intégrer le 213 Gruppo de Lecce pour devenir futur pilote de chasse. La phase III à Lecche dure entre 8 mois et demi et 10 mois, elle est plus courte pour les stagiaires ayant déjà volé sur MB339 pendant la phase II. Un stagiaire de l’ENJJPT peut rester à Sheppard pour sa phase 3, il passe alors du T6 Texan II au T-38. 

Pour les futurs pilotes de chasse, la phase IV (également dénommée LIFT –Lead In Fighter Training) est la dernière marche avant de passer sur leur avion d’arme. La formation dure 175 jours ouvrables, elle est prodiguée par l’IFTS (International Flight Training School) désormais basée à Decimomannu, en Sardaigne. C’est là que l’AMI forme ses pilotes de combat, ainsi que ceux des nations qui ont signé un accord avec les autorités italiennes. L’industriel Leonardo est fortement impliqué dans cette phase du processus puisqu’il fournit des pilotes instructeurs civils, tout l’environnement de simulation (en coopération avec la société CAE) et des modules de formation adaptés aux besoins des clients (certains pays ont déclaré vouloir former à terme une partie de leurs pilotes à Decimomannu, d’autres y ont envoyé une paire de stagiaires pour évaluer la qualité de l’enseignement fourni par l’IFTS). L’école a été déclarée officiellement ouverte en Juillet 2022, elle va monter en puissance dans les mois qui viennent pour accueillir jusqu’à 80 stagiaires italiens ou étrangers par promotion. La partie formation en vol se fait sur T-346A dont le cockpit est assez proche des chasseurs de 4e et 5e génération en service au sein de l’OTAN. L’AMI et Leonardo ont financé l’achat d’une vingtaine  de ce nouvel avion d’entrainement biplace, comptant sur la modernité de ses systèmes pour fournir une formation en Phase IV de grande qualité. Là aussi, l’usage intensif du simulateur a été dès le départ intégré dans le cursus de formation même si le positionnement de l’école dans le sud de la Sardaigne permet une palette de profils de vol très différents (TBA  au dessus de la terre ou de la mer, larges zones pour les missions air-air, champs de tir à quelques minutes de vol, météo souvent idéale, peu de trafic civil, etc…).                                           

Six mois intensifs

Le ou la stagiaire qui arrive à Grosseto pour la phase V de sa formation connait déjà son affectation sur une des bases qui utilise l’Eurofighter. Il s’agit, au choix, du 36e Stormo à Gioia del Colle, du 51e Stormo à Istrana, du 37e stormo de Trapani ou bien sûr du 4e Stormo de Grosseto. Ce dernier est composé deux Gruppo, le IXe Gruppo et le XXe Gruppo qui est l’unité de transformation opérationnelle (OCU) et qui voit donc passer tous les pilotes destinés à voler sur F-2000A, qu’ils soient en reconversion ou tout jeunes diplômés. C’est également le XXe Grupppo qui est responsable de la standardisation des procédures sur l’avion. Tous les ans, les responsables de tous les squadrons d’EF 2000 se retrouvent à Grosseto pour faire le point sur leurs difficultés, leurs méthodes de travail et les procédures qu’ils utilisent. Le but est qu’une certaine harmonisation s’installe au sein de la «communauté Typhoon» afin qu’un pilote ou qu’un mécanicien puisse facilement être affecté d’une unité à l’autre en gardant tous ses repères. La SOTS (Standardization and Operational Tacticts Section) est une cellule intégré à l’escadron, elle est chargée de la formation des Weapons Instructor (WI), qui plus tard, dans leurs unités respectives, répandront leurs savoirs dans les domaines pointus de l’armement, des contre-mesures et des tactiques de combat diverses.   

Au sein de l’AMI, l’AMX fait désormais partie de l’Histoire, le Tornado vit ses dernières années et le F35 n’est arrivé que sur une seule base, au compte-gouttes. Une majorité des pilotes de chasse est donc affectée sur Eurofighter car cet avion constitue la colonne vertébrale de l’aviation de combat italienne. Avec  la fin effective ou programmée de l’AMX et du Tornado, les missions de bombardement, de CAS, d’interdiction ou même de reconnaissance sont désormais l’apanage de la flotte de F-2000. Le XXE Gruppo, qui forme les pilotes, a dû s’adapter à cette nouvelle donne. Au départ, la formation était surtout centrée sur le combat aérien puisque c’était la mission première de l’Eurofighter. Tout comme les Anglais et les Allemands, les Italiens ont amélioré une partie de leur  flotte (tranche 3) et peuvent donc désormais envisager bien plus de types de missions différentes. Si sur le papier, la transformation d’un intercepteur en avion multi-rôles offre des avantages considérables, il rend la tâche des pilotes bien plus difficiles. Et leur formation a dû changer également. Certes, les premiers vols restent les mêmes qu’auparavant. Prise en main de la machine, vols d’orientation autour de la base de Grosseto (avec les petits «trucs» des instructeurs pour virer pile au bon endroit et s’aligner parfaitement sur l’axe de piste), voltige de base et vols en formation constituent le quotidien des pilotes en formation lors des deux premiers mois. A noter qu’à leur arrivée, les stagiaires doivent d’abord absorber des centaines de pages de cours théoriques sur l’Eurofighter pendant près d’un mois. En parallèle, ils fréquentent l’un des simulateurs de la base pour parfaire leurs connaissances du cockpit et des multiples fonctions offertes par l’avion. Les simulateurs de Grosseto sont pour l’instant au standard «tranche 1» mais ils vont bientôt être mis à jour par l’industriel Leonardo. C’est surtout pour comprendre le fonctionnement du radar que le simulateur joue un rôle essentiel, ici comme ailleurs, les pilotes passent de plus en plus de temps à simuler leurs missions avec l’aide de moniteurs qui vont les pousser dans leurs derniers retranchements. Contrairement à la RAF qui estime que les séances de simulateur et la facilité de pilotage de l’Eurofighter permettent de se dispenser presque des biplaces, les commandants de la base et du XXe Gruppo plaident pour un maintien en ligne des TF-2000 (version biplace du F-2000 dans la terminologie italienne). Pour eux, rien de tel que de voler à deux dans l’avion pour les vols d’instruction: le stagiaire est rassuré lors des premiers vols et l’instructeur voit très rapidement les points qu’il faudra travailler lors des missions suivantes. La base de Grosseto possède bien sûr beaucoup de biplaces, qui sont d’ailleurs assez anciens et des tranches 1 ou 2 mais les autres bases italiennes qui volent sur Eurofighter en disposent aussi d’un exemplaire ou deux, pour faciliter les vols de validation ou de remise à niveau. Les premiers vols se font donc sur biplace, mais à un seul avion, pour apprécier le niveau du stagiaire. Viennent ensuite les vols en formation et le premier vol solo (en général, les élèves payent leur tournée au bar à l’issue de trois faits majeurs pour eux: le premier vol sur Eurofighter, le premier vol solo et le dernier vol qui leur assure leur qualification). La formation a été construite sur le principe des «blocks», phase après phase, du plus simple au plus complexe. Quelques missions supplémentaires sont possibles si un élève éprouve des difficultés particulières lors de l’une de ses phases de formation. Au départ, le stagiaire vole toujours avec le même instructeur (il y a le même nombre de stagiaires que d’instructeurs au sein du XXe Gruppo). Par la suite, ce n’est plus cas et les élèves peuvent partir en mission avec n’importe lequel des instructeurs. Ces derniers repèrent assez vite les pilotes qui feraient de bons instructeurs plus tard, ils mettent leur nom de côté afin de les recruter après un premier tour d’opérations dans un escadron de combat.