Situé au Sud de l’estuaire du Tage et reliée à la ville de Lisbonne par le pont Vasco de Gama (le second plus long d’Europe), la base aérienne de Montijo (ou BA6 dans la nomenclature de l’armée de l’air portugaise) abrite plusieurs unités aériennes. Il y a tout d’abord deux escadrons de transport, un sur Hercules (Esq 501) et un autre sur Casa 295 (Esq 502). Il faut ajouter une unité d’hélicoptères de la Marine de Guerre Portugaise qui vole sur Lynx. Et enfin, sûrement la plus connue, grâce à sa mission majoritairement de service public, l’Escadron 751 - Pumas qui opère sur l’impressionnant EH101 Merlin.

Esquadra 751 Pumas

Créé le 26 avril 1978 sur la base aérienne de Montijo, l’unité fut équipée initialement de SA330C Puma rapatriés des ex-colonies portugaises en Afrique. Mais la mission SAR de l’escadron nécessita de retrofiter ces hélicoptères à un standard plus adapté. Ainsi furent installés un nouveau radar de recherche, de nouveaux moteurs Makila, de nouveaux équipements de navigation, un système de vol stationnaire automatique et enfin des flotteurs gonflables permettant d’effectuer la mission de Search And Rescue plus efficacement. A la fin des années 1990 se posa la question de son remplacement, et ce fut l’EH101 d’Agusta-Westland qui fut choisi. Arrivée au sein du «751 » en 2005, la mise en service fut un peu laborieuse. En effet des soucis de disponibilité de pièces détachées on causées de sérieux problèmes. Autant qu’en pour qu’en 2008 il fût nécessaire de remettre en service quelques Puma pour assurer la continuation de la mission. Les choses s’améliorant, en 2011 les Puma furent définitivement retirés du service laissant au seul Merlin la responsabilité du sauvetage en mer. Cet énorme tri-turbine se révèle être une plateforme parfaite pour assurer l’exigeante mission SAR. Douze exemplaires sont en service au sein de la Força Aérea Portuguesa, dans trois configurations différentes. Deux sont adaptés à la mission de surveillance des pêches (SIFICAP pour l’acronyme portugais), quatre à la mission CSAR, et les six derniers à la mission SAR. Les deux appareils dédiés à la SIFICAP sont facilement identifiables par leur haut-parleur placé à bâbord de la cabine, quand les CSAR ont une charnière sur la poutre de queue ainsi qu’un rotor repliable pour prendre moins de place lors d’éventuels embarquements. Même si elles sont quasiment identiques, les versions CSAR et SIFICAP sont plus lourdes d'une bonne centaine de kilos, ce qui rend leur autonomie légèrement plus faible que la version SAR. Cette machine, hors-norme avec ses plus de 15 tonnes à pleine charge, bénéficie de capacités exceptionnelles. On peut parler de sa possibilité d'emporter 35 passagers ou 16 blessés, de son autonomie de vols de plus de huit heures, d'avoir un rayon d'action de près de 750 km, ou bien encore de voler à plus de 270 km/h. Sa capacité interne en carburant est de 5125 litres et peut être portée à plus de 6300 litres après l'adjonction d'un réservoir supplémentaire en cabine, sa consommation est d'environ 900 litres par heure. Cette consommation peut-être réduite d'une douzaine de pourcent en ne volant que sur deux turbines, la contrepartie étant une dégradation générale des performances de l'hélicoptère.

Des équipages qualifiés

L'équipage habituel d'un EH101 est toujours composé au minimum de trois personnes, un copilote (placé à gauche), un pilote qui est aussi le chef de bord, et un responsable de cabine. Le responsable cabine est entre autre en charge du treuil et se tient toujours à la porte tribord du Merlin pour toutes les phases techniques de la mission, ce qui explique d'ailleurs que le pilote soit aussi à droite pour avoir le même référentiel et ainsi éviter toute méprise dans la communication entre ces deux personnes. A ces trois hommes d'équipage s'ajoutent en général deux autres personnes dans le cadre habituel de la mission SAR, il s'agit d'un plongeur secouriste, et d'un infirmier, ce dernier n'est pas forcément un militaire, cela peut-être un civil qui travaille en milieu hospitalier et qui vient effectuer quelques périodes d'astreintes au sein de l'Escadron 751.

Le cursus de formation des pilotes commence à Sintra sur TB30 et Chipmunk, puis se poursuit à Beja sur Alouette III et AW119. Après avoir été breveté les pilotes rejoignent ensuite les «Pumas». Inutile de préciser que la marche entre l'Alouette III et l'EH101 est importante, pas forcément en terme de pilotage (le Merlin est remarquablement assisté), mais plus en terme de mentalité, car à Montijo le jeune pilote va devoir assimiler le principe du travail en équipage. 

Il y a trois qualifications principales, celle de pilote en formation, celle de copilote, et enfin pilote. Quatre pilotes parmi les plus confirmés ont aussi le statut d'instructeur. A noter que tous les copilotes ne deviendront pas pilotes au cours de leur carrière, en effet c'est le collège des pilotes (neuf lors de notre visite) qui se réunit régulièrement avec le commandant d'unité pour décider quel copilote semble posséder les qualités nécessaires pour devenir pilote, une belle épreuve pour l'ego de certain… Enfin à l'inverse de ce qu'il se passe par exemple dans les unités françaises, ici une affectation au sein de l'Esq751 signifie à coup sûr une carrière complète au sein de cet escadron. 

Tous les équipages partent une fois par an à Benson en Angleterre pour quelques vols sur simulateur axés sur la gestion des pannes. C'est à peu près le seul contact qu'ils ont avec les autres opérateurs du Merlin dans le monde, en effet aucun pilote portugais n'est en échange à l'étranger sur EH101, et aucun pilote étranger n'est en poste à l'Escadron, en partie dû aux contraintes liées à la mission SAR.

Chaque pilote du «751» vole en moyenne 170 heures par an.

Les missions des «Pumas»

Les missions de l'Esq 751 sont théoriquement au nombre de trois, mais la réalité est un peu différente. En effet la mission de surveillance des pêches (SIFICAP) n'est plus pratiquée depuis trois ans à cause d'un budget contraint qui impose d'affecter presque tout le quota d'heures de vol à la mission SAR. Selon le même principe, la mission CSAR et de transport au profit de commandos ne représente plus que 10% des heures de vol de l'unité. Au final les «Pumas» réalisent presque exclusivement des missions SAR. 

Il faut savoir qu'avec l'ile de Madère et les Açores, le Portugal est responsable d'une zone maritime énorme de plus de 5,5 millions de km2 (soit l'équivalent de l'Europe continentale jusqu'à l'Oural). Aussi l'Escadron maintient trois hélicoptères en alerte SAR, un à Montijo, un à Madère et deux Açores. A Montijo, les équipages sont d'astreinte 24 h tous les 5 jours environ, mais à Madère et aux Açores les équipages sont détachés pour deux semaines durant lesquelles ils doivent être prêts à décoller dans les 30 minutes de jour, et 45 minutes de nuit. Avec 20 pilotes formant dix équipages, il n'est pas rare qu'un personnel navigant soit plus de cinq mois en dehors de chez lui durant une année. Des dispositions ont ainsi été prises pour qu'éventuellement les familles des équipages puissent les rejoindre sur ces îles lors des congés, et ainsi rendre moins pénible ces détachements à répétitions.

«Minerva Gloria»

En cette fin de mois de février 2018 aux Açores, l'équipage de l'Esq 751 en est au douzième jour de son détachement. L'activité a déjà été bien intense, mais la tempête Killian qui approche fait comprendre aux hommes que la fin du déploiement risque d'être mouvementée. Même si le très gros temps est courant aux Açores, ici on annonce des vents de 130 km/h et des vagues de plus de 12 mètres. Aussi tout le monde se tient prêt. 

Le 22 février à 10 h 30Z le premier signal de détresse du tanker grec «Minerva Gloria» arrive au centre de coordination maritime de Ponta Delgada. Le commandant du bord du pétrolier a de sérieux problèmes cardiaques. Mais sans aucun personnel médical à bord, et la première terre à 570 nautiques, la situation est critique et une évacuation sanitaire est urgente. Le centre de coordination de sauvetage de Lajes prend en charge l'organisation de la mission et la planification commence. Le premier problème est que malgré l’allonge considérable de l'EH101 (400 miles), le bateau se trouve encore à presque 600 miles des Açores, et donc hors de portée de l'hélicoptère. Aussi on demande au tanker de faire route au plus vite vers l'ile principale de Terceira. 

A 15 h 00Z un pré-planning est réalisé par l'équipage du «751». Il apparaît rapidement que le point de rendez-vous entre le bateau et le Merlin se situera au cœur de la tempête Killian, donc l'évacuation du commandant du bateau se fera dans les pires conditions possibles! Le second problème est que la vitesse du vent prévu interdit au Casa C-295M de décoller de Lajes. Cet avion décolle en soutien de l'EH101 quand il part pour une mission SAR au dessus de l'Atlantique Nord, il est essentiel pour assurer la sécurité de l'équipage du Merlin qui se trouvera à plus de 3 heures de vol de toute terre dans une zone sans couverture radio... Aussi une alternative est trouvée en faisant appel à un P-3C+ Orion basé à Beja mais à plus de 1000 nautiques de la zone de sauvetage. Il faut donc calculer et recalculer tout afin de s'assurer que l'avion de PatMar sera bien à l'endroit et l'heure prévu pour retrouver la voilure tournante.  Pour gagner du temps il est prévu de déposer  le blessé sur une des neuf îles des Açores à savoir Sào Miguel, celle la plus à l'Ouest de l'archipel à plus de 90 miles de Lajes, problème... les prévisions météorologiques sur l'aéroport pour l'heure estimée d’atterrissage sont très mauvaises, le terrain devrait même être fermé...

Enfin le 23 février à 9 h 00Z l'équipage se réuni en salle de briefing pour prendre connaissance des derniers développements et finaliser la préparation de mission, puis il faut s'armer de patience et attendre le go du centre de coordination. Enfin un peu après midi l'EH101 décolle. 

Arrivé sur zone, l'équipage saisi toute la dramaturgie de la scène en ouvrant la porte cargo. Les conditions sont dantesques, le pétrolier de 250 m de long tangue et roule comme s'il était un voilier de 60 pieds... La taille des vagues fait que la perception de la hauteur entre l'EH101 et les flots ne cesse de se modifier, à tel point que le pilote demande au copilote de lui donner en permanence l'altitude de l’hélicoptère pour éviter toute catastrophe. Dans cabine la pression est palpable, car outre le fait que le temps disponible sur zone s'écoule très vite, il va falloir que le plongeur secouriste descende sur le pont arrière à l'aide d'un câble tendu préalablement entre l'hélicoptère et le bateau. Le tangage du «Minerva Gloria» est si fort que régulièrement son hélice sort de l'eau pour battre l'air de façon grotesque. Aussi le risque est réel que le secouriste en descendant percute violemment la coque du navire qui viendrait à remonter brutalement vers lui. Le pilote attend une accalmie pour effectuer la manœuvre et déposer sans encombre le secouriste qui s’affaire de suite à installer le commandant dans la cage qui permettra ensuite de le remonter. Enfin 20 minutes après être arrivé sur zone, tout le monde est dans la cabine du Merlin, et l'infirmier établi un premier diagnostic sur le blessé et confirme un infarctus du myocarde, et lui prodigue les premiers soins vitaux. 

Les deux heures suivantes sont consacrées par l'équipage à confronter les contraintes de chacun pour déterminer ce qu'il faut faire. Il apparaît que la situation critique du patient nécessite une prise en charge la plus rapide possible par une équipe médicale spécialisée. Aussi il faut se poser à Ponta Delgada même si les conditions météorologiques sont extrêmement défavorables. 

Les premiers soins médicaux confirmeront que la survie du capitaine s'est jouée à la minute près. 

Para Que Outros Vivam

«Afin que d'autres vivent», une devise on ne peut plus adaptée à l'Escadron 751. Le sauvetage de la «Minerva Gloria» n'en est qu'un parmi d'autres, en 2015 l'unité fut même récipiendaire du Sikorsky Rescue Award pour le sauvetage encore plus périlleux de quatre plaisanciers dans des conditions météorologiques apocalyptiques durant lesquelles l'équipage flirta avec les limites de pétrole pour secourir toutes les victimes.

Le bar de l'escadron est un témoignage poignant de sa mission principale. En effet les murs sont couverts de dizaine de gilets de sauvetage des navires secourus sur lesquels sont notés le nom des personnes sauvées ainsi que les distances d'intervention et le nom de l'équipage, une réalité terriblement visuel! Comme si ceci ne suffisait pas, à l'entrée de l'Escadron 751, une plaque commémorative mise à jour presque quotidiennement rappelle le nombre de personnes sauvées par les «Pumas», lors de notre visite celui-ci était de... 4113!

Avec la fermeture programmée de la base de Montijo en 2022, l’escadron devrait se déplacer à Sintra au nord-ouest, d'où il continuera à réaliser sa mission essentielle.